Pilote de Canadair, « Un métier gratifiant, avec beaucoup de sacrifice »

Un métier dangereux, complexe, deux fois moins payé qu’un pilote de moyen-courrier. Mais Christophe, 53 ans, ancien pilote de chasse, ne lâcherait pour rien au monde les commandes de son avion.

Quand on le rencontre, samedi matin, à l’entrée de la base de sécurité civile de Nîmes-Garons (Gard), où est basée la flotte de bombardiers d’eau française, Christophe est en alerte, dans sa tenue orange de pilote de Canadair. Il a quitté ce matin son épouse, Valérie, et leur maison près de Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône)

Quand on le rencontre, samedi matin, à l’entrée de la base de sécurité civile de Nîmes-Garons (Gard), où est basée la flotte de bombardiers d’eau française, Christophe est en alerte, dans sa tenue orange de pilote de Canadair. Il a quitté ce matin son épouse, Valérie, et leur maison près de Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône).

« Je rentrerai ce soir, ou au plus tard demain soir », en fonction de ses missions du jour. « À partir de midi et demi, je dois pouvoir décoller en 30 minutes. L’avion est prêt, mes affaires aussi. » Vers quelle destination ? Il l’apprendra une fois en l’air. Son Canadair de 20 tonnes, qui peut l’emmener à 800 km de Nîmes (Gard) avant d’être ravitaillé, ira peut-être tuer dans l’œuf un feu naissant dans le Gard, ou lutter contre un incendie plus important à l’autre bout de la France. Près de nous, l’un des six Dash-8 de la base, un avion bombardier d’eau, fait le plein de produits retardant, avant de mettre le cap sur Vannes (Morbihan).

Nos anciens n’avaient pas connu une saison aussi intense depuis 2003.

— Christophe, pilote de Canadair

Comme ses 90 collègues, Christophe vit un été sous tension permanente. « La saison a commencé très tôt cette année. On a été sollicités dès le mois de juin, quasiment sans interruption. Nos anciens n’avaient pas connu une saison aussi intense depuis 2003. »

Pilote de chasseur bombardier en Irak et en Afghanistan

Ce fou d’aviation pilote des Canadairs depuis neuf ans, après une première vie de pilote de chasse. Ce fils d’instituteur, né il y a 53 ans en Moselle dans une famille de quatre enfants, a toujours rêvé de voler. « Enfant, je passais mes journées sur le toit de la maison à regarder les avions de chasse se poser sur la base voisine de Metz-Frescaty. »

Le jeune Christophe commence à piloter dans des petits aéroclubs, et devient prof de maths en collège. « Je faisais venir des professionnels de l’aviation pour les élèves. C’est là que j’ai découvert que j’aurais pu postuler dès le bac pour être pilote de chasse ! » Reçu au terme d’une sélection ultra-sévère, il vit sa première vie rêvée de pilote de chasse dans l’armée de l’air, sur Jaguar puis Mirage 2000. Il sera à la fois instructeur, et pilote de chasseur bombardier, engagé sur tous les terrains d’opération, dans l’ex-Yougoslavie, en Irak ou en Afghanistan.

Certaines années, je passais 200 jours loin de chez moi en opération ou en mission de préparation. Mon épouse Valérie gère tout depuis 30 ans, la famille, le foyer. Sans elle, je n’aurais jamais pu accomplir cette carrière.

— Christophe, pilote de Canadair


Des missions qui lui vaudront plusieurs croix de guerre et la Légion d’honneur. « Certaines années, je passais 200 jours loin de chez moi en opération ou en mission de préparation. » Il ne se rappelle pas avoir assisté aux premiers pas de sa fille Marie et de son fils Jean. « Mon épouse Valérie a cessé son travail de gérante de boutique le jour de notre mariage. Elle gère tout depuis 30 ans la famille, le foyer. Sans elle, je n’aurais jamais pu accomplir cette carrière. »

Cinq ans pour former un commandant de Canadair

Il intègre la sécurité civile en 2013, la quarantaine passée, après cinq ans d’attente et deux échecs consécutifs. Un métier certes mieux payé que la moyenne, mais deux fois moins qu’un pilote de chasse ou de moyen-courrier : 2 500 € pour un commandant débutant dans la sécurité civile, 5 000 € en fin de carrière.

Christophe a commencé comme copilote avant de devenir commandant de bord. Ils sont 16 pour les 12 Canadairs basés à Nîmes, pour la plupart, comme lui, d’anciens pilotes de chasse « ou des pilotes de transport tactique, qui ont fait des transports de paras, des opérations spéciales ».

Leur mission : « endosser la pleine responsabilité des largages, et piloter l’avion dans les phases les plus critiques » que sont le largage et « l’écopage ». Pour larguer, l’avion doit ralentir et survoler le feu à 30 mètres du sol, dans les mouvements d’air générés par le feu. « Il se déleste d’un coup de 6 tonnes d’eau, le tiers de son poids ! Ça demande une concentration de tous les instants. » L’écopage est un autre moment critique. « Il faut une zone de 2 km de long, 100 mètres de large, pour écoper en 12 secondes. Il faut tenir compte des vagues et du vent. » Un métier tellement complexe qu’il faut cinq ans pour former un commandant de Canadair.

« Le feu est toujours plus fort que nous »

Ses journées peuvent commencer à 5 h ou finir à 1 h du matin, et les pilotes peuvent effectuer jusqu’à 8 heures de vol et 60 largages par jour, avec l’obligation de prendre un jour de repos pour deux jours d’activité. « Au-delà, vous êtes vraiment éprouvé physiquement, et vous risquez de prendre de mauvaises décisions. »

De début juin au 15 octobre, aucun congé pour les pilotes. « Le reste de l’année, deux Canadairs restent en alerte permanente, et nous travaillons à la formation des futurs pilotes, à repasser des qualifications, à maintenir notre niveau d’exigence. »

Sa plus grande satisfaction : « quand vous venez de sauver une maison, ou la vie des pompiers en difficulté ». Il apprécie aussi, comme les autres pilotes, les nombreux dessins d’enfants, les lettres de soutien et les encouragements sur les réseaux sociaux.

Son pire moment : avoir perdu un collègue, Franck Chesneau, en 2019, dans le crash de son avion dans le Gard. « Le feu est toujours plus fort que nous. Le but, c’est de rentrer tous à la maison le soir, chez nous. »

Représentant syndical, Christophe a été en première ligne, en juin, d’un combat des pilotes pour obtenir plus de moyens, qui a débouché sur des engagements du gouvernement. Son métier « gratifiant, passionnant, même s’il est compliqué et exigeant, physiquement et familialement », il espère le poursuivre jusqu’à l’âge de la retraite, les pilotes étant soumis à une visite médicale tous les ans, et deux fois par an à partir de 60 ans. « Tant que mon corps me laissera le faire, je le ferai. »


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