L’extraordinaire pouvoir réparateur du voyage

Après un choc de vie, partir à l’aventure ne se conçoit plus comme un loisir mais comme un soin, capable de réparer un esprit malmené ou un corps abîmé et, de rencontres en découvertes, de redonner de l’énergie.

Élisabeth a traversé l’Atlantique à la voile. Éric a, lui, réalisé un tour du monde en vélo d’appartement. Quant à Pierre, il continue de parcourir les grands espaces. Tous ont en commun d’avoir vécu un choc de vie. Élisabeth a entrepris son voyage après avoir guéri d’un cancer du sein, Éric, pour faire reculer la maladie de Parkinson et Pierre, qui était globe-trotteur, pour ne pas cesser de l’être après avoir perdu l’usage de ses jambes lors de l’attentat du Bataclan. Et tous ont témoigné à travers un livre (1). Une maladie, un accident ou un deuil, avec la perte de confiance et de repères que cela implique, rappelle toute la fragilité de l’existence et invite à la vivre plus intensément. Pour certaines personnes éprouvées par ces traumatismes, partir à l’aventure ne se conçoit plus comme un loisir mais comme une thérapie capable de réparer un esprit malmené, un corps abîmé.

Pierre et son épouse au pied d’un glacier en Argentine. Wheeled World

Indissociable de la rencontre avec l’autre, le voyage donne parfois l’occasion d’une quête intérieure. «Je suis partie sans traitement, non pas pour fuir la maladie, mais pour aller à la rencontre de moi-même. J’avais perdu la vue et l’usage d’une main, j’ignorais comment les symptômes allaient évoluer… J’avais besoin de me confronter à un maximum de sensations physiques», détaille Marine Barnérias, diagnostiquée en 2015 d’une sclérose en plaques, alors qu’elle est encore étudiante. Difficile à entendre quand on n’a que 21 ans… Mais ce choc décuple sa force de vie. Elle entame un voyage initiatique de neuf mois qui l’emmène en Nouvelle-Zélande pour «redécouvrir son corps», en Birmanie pour «apaiser son esprit» et en Mongolie pour «renouer avec son âme». À pied ou en stop, son cheminement est parsemé de belles rencontres qu’elle relate dans le film Rosy, sorti en salle en janvier dernier et adapté de son autobiographie, Seper Hero . «Ce voyage m’a appris à ne plus avoir peur de la vie et à m’accepter telle que je suis», explique la jeune femme, qui estime aujourd’hui bien cohabiter avec sa maladie.

L’aventure comme exutoire

Après une guérison, l’aventure sert d’exutoire. «Je voulais vivre quelque chose d’extrême pour évacuer toute la charge mentale et physique qu’a fait peser ma maladie», se souvient Élisabeth Thorens-Gaud, 60 ans, originaire de Lausanne, en Suisse. Après avoir subi un traitement par radiothérapie, cette passionnée de voile rêve d’une traversée de l’Atlantique. Mais son projet doit profiter à d’autres femmes touchées par le cancer du sein. Avec cinq autres patientes, une skippeuse et une médecin, l’enseignante met le cap sur la Martinique pour une traversée de 24 jours, en novembre 2019. «L’épreuve du cancer a regonflé mes voiles. Cette aventure nous a aidées à retrouver la confiance en nous. C’était une manière de prendre notre revanche, de prouver que nous avons tous une deuxième chance», résume l’initiatrice du projet r’Ose Transat.

Élisabeth met le cap sur la Martinique. Germain Arias-Schreiber

Mais quand l’horreur fait irruption, le besoin d’évasion prend un tout autre sens. Pierre Cabon, 31 ans, est devenu paraplégique après l’attentat du Bataclan, en 2015. «Partir, c’était faire un pied de nez au drame et outre-passer cette noirceur de vie», affirme le fondateur de Wheeled World, un média d’inspiration pour les voyageurs à mobilité réduite. La tragédie n’entame en rien son amour des grands espaces et l’envie d’explorer le monde. À l’été 2017, avec son épouse Myriam, il réalise son premier voyage en fauteuil roulant au Canada et aux États-Unis. Puis fin 2019, le couple entame un tour du monde lors d’un congé sabbatique. Kayak au pied d’un glacier en Argentine, saut en parachute en Australie, traversée de la Nouvelle-Zélande en tandem… Le handicap n’empêche pas Pierre de vivre ces sensationnelles expériences. Seule la pandémie de Covid-19 met fin à leur périple, qu’ils envisagent malgré tout de poursuivre par étapes. En juillet prochain, ce sera l’ascension du Kilimandjaro.

«Partir, c’était faire un pied de nez au drame et outre-passer cette noirceur de vie», affirme Pierre Cabon, le fondateur de Wheeled World. Wheeled World

«Retrouver un équilibre»

Marcher, cheminer, aller de l’avant… C’est aussi le remède qu’a choisi Solal Hohn, 27 ans, pour se reconstruire après avoir chuté d’un balcon lors d’une crise de bipolarité, en janvier 2020. Un «marqueur de vie» dont il se remet après de lourdes opérations et plusieurs mois de rééducation. «Je savais que je devais partir et que je retrouverais un équilibre grâce à la marche, aux découvertes et aux rencontres», explique le jeune homme. Actuellement volontaire dans une école de Sofia, en Bulgarie, «celui qui trace son chemin» (son prénom en hébreu) souhaite poursuivre son nomadisme pendant «une dizaine d’années», en passant notamment par la Turquie, l’Inde et la Thaïlande, car «chaque pays correspondant à une recherche spirituelle».

Parfois, le voyage vient véritablement à bout d’une maladie. Pertes d’équilibre, tremblements, insomnies… Quand il a reçu le diagnostic de Parkinson, en 2012, Éric Tournaire, alors encore enseignant, présentait 25 % des symptômes. Aujourd’hui, il en a moins de 5 %. «Il fallait faire suer la maladie. Je devais me fatiguer un maximum et ne pas attendre passivement une guérison par les médicaments», témoigne ce carnettiste. Ses médecins lui prescrivent deux heures de vélo d’appartement par jour pour freiner la déperdition musculaire et neurologique.

Éric sur son vélo d’appartement dans un voyage virtuel au Taj Mahal, (Inde). Eric Tournaire

Lassé par le sur-place, Éric transforme ses exercices quotidiens en parcours virtuel, anciennes photos de voyage à l’appui, pour avoir l’impression d’arpenter le monde. «En un an, j’ai parcouru la distance entre la France et le Japon!» Puis il cède à l’appel de la route, la vraie. Avec son vélo couché à trois roues, en 2015, il relie en onze jours Vichy (Allier) à La Rochelle (Charente-Maritime). Le premier voyage d’une longue série. Quatre ans plus tard, Éric Tournaire parcourt 400 km entre Gennes (Maine-et-Loire) et Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) pour rendre hommage à une amie emportée par la maladie. Aujourd’hui, le retraité, qui s’est mis au vélo à deux roues, estime que Parkinson est derrière: «Je me sens plus sportif que jamais. La maladie m’a fait découvrir une énergie au fond de moi. Comme si j’avais remis en état une machine rouillée.»

 

Plonger pour rebondir

Se réapproprier son corps après une chimiothérapie, reprendre confiance après une opération… Pour atténuer les traumatismes d’un cancer, Aquadémie Paris Plongée encourage les patients à s’initier à la plongée sous-marine et les accompagne, du baptême aux brevets. Ce sport doux, dépaysant, réduit de 30 % les risques de rechute, rappelle le Pr Jean-Pierre Lotz, médecin oncologue à l’hôpital Tenon, à Paris, et fondateur de l’association. Celle-ci sera présente à la 23e édition du Salon international de la plongée, du 11 au 14 mars.

 


Laissez un commentaire

Veuillez noter que les commentaires doivent être approvés avant d'être affichés